L'anthropologue Grégory Batesoncontribue pleinement à la naissance de la systémique. Bateson ne s’est pas demandé pourquoi telle personne-ci se comporte de manière folle. Il s’est demandé dans quel système humain, dans quel contexte humain, ce comportement peut faire sens. Nathan Ackerman (1954), psychiatre et psychanalyste New Yorkais, fût l’un des premiers à inclure l’ensemble de la famille dans le traitement des problèmes émotifs d’un individu. Il était particulièrement intéressé par les transferts et les projections entre les membres de la famille ainsi que les rôles tenus par chacun. Un nouveau courant de pensée et de méthodes thérapeutiques va alors se développer aux États-Unis dont Murray Bowen, Ivan Boszormenyi-Nagy, Carl Whitaker, Don Jackson, Nathan Ackerman, Salvador Minuchin, Virginia Satir et Jay Haley furent les pionniers. Mara Selvini Palazzoli a tenu le même rôle en Italie. Les thérapeutes systémiques ont comparés analogiquement les familles à des systèmes ouverts en état d’équilibre, et les symptômes à des rétroactions négatives. Les comportements symptomatiques des clients purent désormais être décrits comme des «tentatives de protection» d’un ensemble familial trop peu flexible. La famille a alors commencé à être perçue comme un système relationnel qui a une organisation, une structure, faite de rôles, de règles, de buts et de finalités, un système capable d’autorégulation ou pas, constitué d’individus ayant des échanges continuels et circulaires entre eux ou pas. Cette conception est centrée sur les concepts d’homéostasie et d’auto-correction. Le Dictionnaire clinique des thérapies familiales systémiques nous dit que dans un système statique, tout changement est perçu comme une ERREUR à corriger ou à freiner. Cette règle de la rigidité est celle qui prévaut dans les familles à transaction schizophrénique et de façon plus générale, dans toute famille dysfonctionnelle. Cette nouvelle épistémologie du symptôme va alors impliquer une compréhension fort différente de la pathologie. En effet, d’une lecture linéaire où les symptômes étaient liés à un traumatisme ou à un conflit venant du passé du patient, nous passons à une lecture circulaire qui montre l’inter-influence de la communication et du comportement de chacun sur chaque membre d'un système.
Lynn Hoffman, dans son livre « Foundations of family therapy », nous donne un bel exemple de la notion de circularité. Elle compare ce qui se produit si l’on frappe une roche ou si l’on frappe un chien. Si l'on frappe une roche, celle ci s’éloignera d’une distance proportionnelle au coup reçu de façon relativement prévisible.
Si l’on frappe un chien, celui ci aura une réaction qui sera fonction de la relation qu'il entretient avec celui qui le frappe et du sens qu’il donnera à ce geste. Sa réaction sera donc très différente selon qu’il voit la situation comme un jeu ou comme une agression. Il pourra fuir, mordre celui qui l’a frappé ou bien jouer ou encore aboyer. Sa réaction apportera en tous cas une nouvelle information au sujet de la relation. Cela aura, à son tour, une conséquence sur le comportement ultérieur de la personne qui l'a frappé. Mordu sérieusement par exemple, la personne y pensera à deux fois avant de frapper à nouveau un chien.
Conséquemment à ces idées nouvelles, plusieurs cliniciens ont alors commencé à explorer les liens entre la maladie mentale d’un individu et le système relationnel de sa famille.
Don Jackson a été un des chercheurs les plus influents dans le développement de la thérapie familiale.
Il avança que la maladie d’un individu pouvait contenir la pathologie du système et protéger la santé mentale de ses membres.
Dans les années 1950, Don Jackson et Jay Haley remarquèrent que la diminution des symptômes chez un membre de la famille pouvait être suivie par l'apparition des symptôme chez un autre membre de la famille.
En 1954, Don Jackson rejoint l’équipe de Palo Alto composée de Gregory Bateson, Jay Haley et John Weakland. Ils s'intéressèrent à la communication dans les familles où un des membres était schizophrène. Ils allèrent jusqu’à hospitaliser des familles entières le week-end pour observer leur mode de communication.
De cette équipe est née la théorie du double lien dans la schizophrénie théorie selon laquelle la présence d’une communication paradoxale joue un rôle prépondérant dans le développement de cette pathologie.
La communication paradoxale dans une famille est faite de messages à double-lien. Le double lien est défini comme une situation où un sujet est confronté à des messages paradoxaux, non perçus comme tels en raison de leur déguisement, de leur déni, ou de leurs niveaux différents. Le sujet ne peut donc ni échapper, ni percevoir ni commenter efficacement les contradictions.
Watzlawick et ses collaborateurs formulent dans "Une logique de la communication" 4 bases axiomatiques de la communication :
On ne peut pas ne pas communiquer.
Toute communication présente deux aspects: le contenu et la relation, tels que le second englobe le premier et par la suite est une métacommunication.
La nature d'une relation dépend de la ponctuation des séquences de communication entre les partenaires.
Les être humains usent de deux modes de communication: digital et analogique.
Le langage digital possède une syntaxe logique très complexe et très commode, mais manque d'une sémantique appropriée à la relation. Par contre, le langage analogique possède bien la sémantique, mais non la syntaxe appropriée à une définition non-équivoque de la nature des relations. Tout échange de communication est donc soit symétrique soit complémentaire, selon qu'il se fonde sur l'égalité ou sur la différence
Au début des années 1980, la parution du livre de Paul Watzlawick «L’invention de la réalité », les travaux de Ernst Von Glaserfeld, de Heinz Von Foerster (travaux sur la 2e cybernétique) et de Humbert Maturana et Francisco Varda (travaux sur la perception) apportent une modification de certains aspects de l’épistémologie systémique.
On ne voit pas les systèmes humains comme ayant seulement une tendance à l’homéostasie mais aussi comme ayant des potentialités évolutives dans des directions imprévisibles.
En thérapie systémique, on parle de passage théorique de la première cybernétique à la deuxième cybernétique. Les systèmes sont en effet considérés comme étant en évolution, constamment en mouvement, influencés par les autres systèmes avec qui ils sont en interaction. Dans la première cybernétique, le thérapeute était vu comme étant à l’extérieur du système, l’observant de façon neutre.
Dans la deuxième cybernétique, le thérapeute est perçu comme FAISANT PARTIE intégrante de la «réalité observée» et comme participant à la «co-construction» de la nouvelle réalité du système.
Un nouveau système se forme :« famille et thérapeute ». Le symptôme n’est plus perçu comme ayant comme fonction de maintenir l’homéostasie dans le système, mais comme indiquant un état de crise et un désir d’évolution.
De cette nouvelle épistémologie va naître le constructivisme. Le dictionnaire clinique des thérapies familiales systémiques nous dit ceci :
"La réalité sur laquelle se fonde une connaissance (épistémologie) ne préexiste pas à l’observation. Elle est construite par l’observateur sous la forme de modèles, de paradigmes et de cartes. Ceux-ci entretiennent avec l’environnement un rapport lui-même soumis à une constante évolution. On ne cherche pas ici à connaître la réalité, mais à mieux comprendre comment les modèles se construisent et de quelle manière ils peuvent servir à atteindre des finalités pragmatiques".
Luidgi Onnis parle de circularité constructive entre observateur et système observé.
Il voit le thérapeute comme étant celui qui introduit dans le système des éléments d’une plus grande complexité et de nouvelles informations afin d'apporter au système d’autres choix possibles, d’autres alternatives afin de remettre en marche le processus évolutif.
Selon Onnis, la famille créera elle-même les formes et les directions, tout à fait imprévisibles, de son propre changement.
Dans son article « Le renouvellement épistémologique de la thérapie systémique », il souligne la multidimensionnalité du processus mental : la spécificité de l’individu, le système auquel il appartient, ses comportements agis dans l’ici-et-maintenant et son histoire sont les niveaux différents d’une même réalité humaine complémentaire et en permanente corrélation.
Le thérapeute systémique, en observant le processus interactionnel, identifie d’abord la structure des systèmes faits de règles et de rôles qui rendent prévisibles les interactions familiales. Dans cette analyse, il doit également tenir compte des loyautés, des mythes, des secrets et des différents cycles de la vie du système.
Un système familial peut en effet vivre différents stades de développement, différents cycles de vie : la formation du couple, la naissance des enfants, la période de l’adolescence, le départ des enfants, le vieillissement. Chaque nouvelle étape demande des changements au sein des relations entre les membres.
Des réajustements doivent donc être faits. Certains systèmes trop rigides vivent difficilement ces périodes de transition et ne trouvent pas une réponse adéquate face à l’exigence de changements. C’est souvent à ce moment que des symptômes peuvent apparaître chez un des membres de la famille.
Afin de nous aider à organiser l’information obtenue sur un système, différents instruments peuvent être utilisés, tels la carte familiale ou génogramme.
Le génogramme est un graphique représentant une constellation familiale sur plusieurs niveaux générationnels. Ce génogramme peut donner des informations concernant les noms, les prénoms et la filiation.
Il peut également indiquer des dates de naissance, de mariages, de maladies ou de décès. Le thérapeute fera des hypothèses circulaires quant aux différentes fonctions du symptôme, hypothèses qui lui permettront de faire un choix de stratégies d’intervention.
Le thérapeute systémique peut parfois être actif voire interventionniste car il est la pour favoriser des transformations systémiques en utilisant différentes techniques telles que :
la prescription de tâches comportementales à effectuer durant les entrevues ou à la maison
l’utilisation du recadrage et du paradoxe
le questionnement circulaire.
Les tâches favorisent l’exploration de nouveaux patterns relationnels qui ne seraient pas apparus naturellement au cours des transactions familiales. Elles offrent de nouvelles possibilités de restructurer le système.
L’approche systémique nous enseigne l’importance d’être attentif à l’influence des différents contextes sociaux sur le comportement d’un individu. La pensée systémique peut également aider à comprendre des systèmes plus grands tels que l’organisation des différents établissements scolaires, hospitaliers, psychiatriques.
En effet, les systèmes institutionnels ont eux aussi leur structure, avec des rôles, des règles, des jeux relationnels passés et présents, des finalités et une histoire.