L'apparition de mémoires traumatiques est la conséquence directe de violences vécues. Elles sont particulièrement flagrantes chez les victimes de violences sexuelles, de maltraitance, d’actes de barbarie et de tortures dans l’enfance. Elles se traduisent par des réminiscences intrusives qui envahissent totalement la conscience (flash-back, illusions sensorielles, cauchemars) et qui font revivre à l’identique tout ou partie du traumatisme, avec la même détresse, la même terreur et les mêmes réactions physiologiques, somatiques et psychologiques que celles vécues lors des violences.
Anhistoriques, non-intégrées, hypersensibles, les mémoires traumatiques sont déclenchées par des sensations, des affects, des situations qui convoquent les violences vécues ou subies jusqu’à des dizaines d’années après leur survenue. Elles sont à l’origine de syndromes de stress post traumatiquesgraves, chroniques et très invalidants. Très difficile à calmer, une mémoire traumatique peut, particulièrement quand elle est parcellaire ou sensorielle, ne pas être du tout identifiée ni même reliée au traumatisme ce qui la rend d’autant plus déstabilisante et déstructurante (impression de danger, de mort imminente ou de folie). Elle s’apparente à une bombe prête à se déclencher à tout moment, transformant la vie en un terrain miné, nécessitant une hypervigilance et une mise en place de stratégies d’évitements et de contrôles épuisants et handicapants (évitements des situations, de sensations, de la pensée, des émotions) ainsi que d’auto-traitements par des conduites dissociantes qui permettent de s'anesthésier.
Les mécanismes neuro-physiologiques et neuro-biologiques qui sous-tendent la mémoire traumatique commencent depuis quelques années à être assez bien connus.
Cela permet d’élaborer des modèles théoriques qui éclairent la genèse des nombreux symptômes psychiques associés si difficiles à comprendre chez les victimes comme par exemple les troubles de la personnalité, les troubles du comportement les conduites à risque, les conduites agressives, les conduites auto-agressives, les addictions etc ...
Les mécanismes neuro-biologiques à l’origine de la mémoire traumatique sont assimilables à des mécanismes de sauvegarde exceptionnels, lesquels, pour échapper à un risque vital intrinsèque cardio-vasculaire et/ou neurologique induit par une réponse émotionnelle dépassée et non contrôlée, vont faire disjoncter le circuit de réponse émotionnelle exactement comme un circuit électrique en surtension qui disjoncte pour sauvegarder les appareils.
Le circuit neurologique en question est le système limbique dont les principales structures sont les amygdales, les hippocampes et le cortex associatif, système aussi appelé cerveau émotionnel.
Lors d’un danger, les amygdales, structures cérébrales sous-corticales qui contrôlent les réponses émotionnelles, sont activées et vont, avant même que le cortex sensoriel et associatif soit informé et puisse lire et interpréter l’événement, déclencher une réponse émotionnelle par l’intermédiaire de la production d’adrénaline.
Le système nerveux autonome va augmenter le rythme et le débit cardiaque, la pression artérielle, la fréquence cardiaque et stimuler la glucogénèse et la production de cortisol par l’axe hypothalamo-hypophyso-surrénalien.
Le but est de fournir à l’organisme de l’oxygène et du glucose en grande quantité afin de fournir les ressources en énergie nécessaires aux organes pour répondre au danger (affrontement ou fuite).
Les amygdales donnent aussi simultanément des informations émotionnelles au cortex associatif pour qu’il puisse analyser le danger et prendre des décisions et à l’hippocampe, “logiciel" indispensable pour traiter et stocker les souvenirs, les apprentissages et aller les rechercher ensuite.
Une fois les amygdales “allumées” elles ne peuvent se moduler ou s’éteindre que par l’action du cortex associatif et de son travail d’analyse et de prise de décisions, aidé en cela par la “banque de données” de souvenirs d’apprentissage et de repères spatio-temporels que lui a fourni l’hippocampe.
Lors de violences extrêmes, incompréhensibles, confrontant à l’implacable entreprise de destruction de l’agresseur, à la mort imminente, sans échappatoire possible avec une impuissance totale et faisant s’effondrer toute les certitudes acquises, le cortex et l’hippocampe sont dans l’incapacité de se représenter l’événement, de l’intégrer et de le relier à des connaissances ou des repères acquis.
Il ne peut donc moduler ou éteindre les amygdales.
La réponse émotionnelle est alors maximale. Les taux d’adrénaline et de cortisol deviennent alors toxiques pour l’organisme.
Il y a une toxicité cardiaque et vasculaire par l’adrénaline avec un risque d’infarctus du myocarde et d’hypertension maligne, une toxicité neurologique par le cortisol avec un risque d'épilepsie et d'apoptose pouvant aller jusqu’à 30% du volume de certaines structures comme par exemple l'hippocampe et le cortex préfrontal.
Ce véritable “survoltage” confrontant à un risque de mort imminente entraîne la mise en place d’une voie de secours exceptionnelle qui va faire disjoncter le circuit limbique, déconnecter les amygdales et éteindre la réponse émotionnelle grâce à la sécrétion par le cerveau de drogues dissociantes endogènes, endorphines et “kétamine-like” , antagonistes des récepteurs NMDA du système glutamatergique.
Au total, le risque vital lié au stress extrême généré par la violence est évité au prix d’une disjonction responsable d’une mémoire traumatique et de symptômes dissociatifs.
Pour éviter de déclencher une mémoire traumatique, des conduites de contrôle et d’évitement vont ensuite être mises en place par la victime.
Mais quand ces conduites ne suffisent plus et que la mémoire traumatique explose entraînant détresse, terreur et angoisse insupportables, le plus souvent seules des conduites d’auto-traitement dissociantes dont la victime a fait une expérience d'efficacité vont pouvoir calmer l’état de détresse.
Il s’agit alors de re-déclencher la disjonction du circuit émotionnel en augmentant le niveau de stress pour recréer un niveau de survoltage suffisant.
Le niveau de stress peut être augmenté par des conduites agressives contre soi-même telles que tentatives de suicide et auto-mutilations, des conduites agressives contre autrui, des conduites à risque, des mises en danger et des prises de drogues, cannabis et alcool compris.
Cette disjonction provoquée va entraîner une anesthésie affective et physique, une dissociation et calmer l’angoisse, mais elle va aussi recharger, aggraver la mémoire traumatique et créer une dépendance aux drogues.
Ces conduites auto dissociantes qui s’imposent sont à la fois paradoxales et déroutantes, douloureuses et incompréhensibles pour les victimes et pour les professionnels qui s’en occupent.
Elles sont responsables de sentiments de culpabilité, de honte, d’étrangeté, de dépersonnalisation et de vulnérabilité accrue face au monde extérieur et plus particulièrement face aux agresseurs, lesquels connaissent bien par expérience ces phénomènes dont ils profitent pour assurer leur emprise sur les victimes et pour les instrumentaliser.
Les agresseurs sont eux-mêmes aux prises avec des mémoires traumatiques. Ils utilisent les victimes pour éviter l'angoisse et se dissocier grâce aux explosions de violence qu’ils leur font subir. Cela permet aux agresseurs de s’anesthésier, les victimes étant leur “drogue”.