Le mot « thérapeute » vient du grec « therapeutès » qui était généralement utilisé dans trois acceptions.
La première acception du terme regroupe des contenus d’une signification proche de servir ou rendre culte.
La seconde acception réfère à l’écuyer, serviteur du chevalier défenseur des valeurs et du sacré. Nous retrouvons cette thématique dans de nombreuses œuvres poétiques ainsi que dans l'œuvre de C.G. Jung.
La dernière acception du terme est « soigner, guérir », ce qui rapproche de la signification actuelle.
Ces trois grands champs de signification donnent au terme thérapeute une dimension éthique, humble voire sacrée. Les thérapeutes décrits par Philon rendent un culte à l’Être et c’est de cet Être qu’ils prennent soin.
Dans le Gorgias de Platon, nous retrouvons la notion de « therapeutès somatos », à savoir celui qui prend soin du corps physique.
Platon utilise le terme de thérapeute pour parler tant du cuisinier que du tisserand, deux métiers qui agencent la matière de manière harmonieuse afin d'en transcender les caractéristiques individuelles.
Il utilise également ce terme à propos des serviteurs des dieux de la famille, de la cité ou les ministres des choses saintes et sacrées.
Marc Aurèle emploie le terme de thérapeute pour désigner le fait d’être attentif à la divinité qui vit en nous afin de l’entourer d’un culte sincère.
Le terme de thérapeute, riche de sens, est également employé pour désigner des hommes qui ont la faculté de prier pour la santé des malades comme dans les manuscrits qui parlent des thérapeutes de Séraphis.
Nous pouvons donc constater par cette première amplification du concept que le terme que nous considérons ici est peut être bien plus profond que nous l’imaginions.
En effet, on se rend compte qu'il a presque toujours une signification qui renvoie à une pratique spirituelle ou sacrée.
Les autres métiers qu’il peut désigner comme cuisinier ou tisserand sont par ailleurs très souvent utilisés comme symboles des alchimistes, c'est-à-dire, ceux qui travaillent à la transformation de la matière vile en matière noble ou plus précisément, à la transformation d’eux-mêmes.
Mais il est encore possible d’aller plus loin dans l’élargissement du concept de thérapeute. Il faut pour cela aborder la langue hébraïque. Rien n’atteste que Philon ait lu ou parlé la langue de ses ancêtres mais peu importe car il est certain qu’en bon herméneute, il en a connu le coté allégorique.
Si par contre, comme beaucoup de juifs alexandrins, il n’a parlé que le grec, les thérapeutes, eux, pouvaient très bien avoir utilisé la langue hébraïque.
La portée merveilleuse des allégories contenues dans les lettres et les mots hébraïques fait partie intégrante de notre patrimoine humain et se retrouve encore en filigrane dans les pensées les plus profondes ou dans l’étymologie des mots que nous employons aujourd’hui.
En hébreu, nous retrouvons par exemple le mot עבודה (avoda) qui signifie culte – travail, composé de la racine עבד (abod) qui signifie travailler – faire – agir mais aussi rituel – praxis. Prononcée ébed, la même racine signifie le serviteur.
Nous sommes donc là dans le même champ sémantique que le terme "therapeutès".
Charles Raphaël Payeur, dans une conférence sur la mystique du travail, joue avec la racine abod et sépare le ע (aïn) des deux autres lettres בד (beth et daleth).
Le aïn est le symbole de quelque chose de profond ou de secret.
בד (bad) signifie tissus, étoffe.
On retrouve ici la notion de manifester ce qui est caché de prime abord en une forme originale et nous rejoignons ici encore le concept de tisserand que Platon appellait le « Thérapeutes Somatos ».
Le tisserand fait un métier d’une grande portée symbolique pour celui qui sait regarder au-delà de la matière.
Ce qu’il réalise se construit à partir des fils verticaux qui constituent la chaîne de l’ouvrage.
Celle-ci, par sa verticalité, symbolise les lois, les principes ou les archétypes, autrement dit, tout ce qui est a-temporel ou éternel et qui constitue, dans une philosophie spiritualiste, la source du monde manifesté.
Les fils horizontaux, la trame, sont mobiles et représentent l’action humaine ou l’originalité avec laquelle nous pouvons manifester ces archétypes.
Nous voyons bien, dans l'origine du mot "thérapeute" comment ce terme dépasse de loin la conception que nous nous en faisons aujourd’hui et comment il s'est finalement appauvri.
Le thérapeute est un philosophe, un amoureux de la sagesse qui permet, par ses actions, la manifestation de ce qui est caché au plus profond de l’humain et qui peut être apporté de manière originale au service de la collectivité.
La pratique du thérapeute est donc un rituel constant, un don de soi, un culte à ce qu’il y a de plus sacré.
Le mode de vie des hommes et des femmes vivant au large d’Alexandrie était tout à fait tourné vers cette dimension sacrée.
Par leurs pratiques, ils prenaient soin du corps, de l’âme et de l’esprit.
Ils pratiquaient les soins du corps par le choix d’une nourriture saine, par leur manière de manger qui se devait d’être sobre ou encore par leur présentation physique ou vestimentaire.
Comme chez un grand nombre de philosophes classiques, les ressources de la personnalité du thérapeute sont alors entièrement mises au service de la dimension spirituelle.
Ceux ci adoptent des actions rythmées et ordonnées qui disciplinent la dimension instinctive de la persona et lui permettent de devenir plus humains.
Ainsi, ils prennent soin de l’esprit en cultivant dans leurs actions quotidiennes les valeurs humaines, l’essentiel, le durable en opposition au transitoire.
Comme avait déjà pu nous le faire comprendre la conception mystique du travail (עבודה - avoda), leur manière de travailler est un véritable don de soi.
Pour les anciens philosophes, le travail est une prière qui n’est nullement considérée comme une demande de quelque chose mais comme un don.
Le travail ou le culte, c’est donner avec cœur et efficacité.
Par des actions très concrètes le vrai philosophe travaille en lui-même ce qu’il porte de plus profond ou de plus élevé. C’est cela la manifestation de l’immuable ou de l’a-temporel avec l’originalité qui chacun nous caractérise.
Sa manière de soigner est une médecine globale du corps, de la psyché et de l’esprit, une iatrikè.
Nous sommes notre propre outil de soin, ce qui signifie que nous pouvons par nous-même orienter les différentes dimensions de notre être pour construire une vie saine.
Ça n’empêche évidemment pas d’être malade ou de souffrir, ce qui demeure une épreuve qui nous permet de progresser. Ça ne signifie pas non plus que nous devons boycotter le médecin de famille.
Mais nous avons la possibilité de retrouver par nous-même un certain équilibre, malgré le symptôme.
La psyché, elle, est soignée par ce que Jean-Yves Leloup appelle l’orientation juste du désir.
Par l’orientation de notre désir, par notre discipline personnelle, par les valeurs que nous manifestons, nous pouvons nous soigner et soigner ceux qui nous entourent.
Nous ne sommes plus faits pour adopter la vie d’ermite des anciens thérapeutes.
Néanmoins, l’exemple qu’ils nous ont fourni peut encore nous inspirer dans le développement de nos actions ou de nos choix.
Nous pouvons encore aujourd’hui retrouver notre verticalité, les archétypes que nous pouvons manifester, une orientation qui nous permet de mieux choisir entre ce qui est essentiel, durable et ce qui est éphémère, secondaire.
Nous pouvons encore travailler sur nous-même à nous relever à chaque épreuve que nous traversons.
Pour cela, soyons attentifs à notre intériorité, à nos rêves, aux valeurs qui nous habitent, à notre force comme à nos faiblesses.
Soyons entiers, ne nous laissons pas être divisés et cultivons ce qu’Edgar Morin appelle la pensée complexe. Relions la pensée rationnelle à la pensée mystique. Relions le corps à l’esprit.
En pratiquant au jour le jour l’amour et la vertu de la sagesse, nous pouvons devenir meilleurs et participer à la vie de la cité en partageant les valeurs humaines que nous avons mises en route dans notre propre vie Ainsi, nous pouvons tous être par moments des thérapeutes pour nous-même ou pour le monde qui nous entoure.
C’est cela le soin de l’Être :
Agir de manière saine et efficace pour un monde meilleur
Etre au service de ce qui est universel et de ce qui nous relie les uns aux autres.